Tokyo est une ville qui vous transmet son effervescence tout comme le fait New York. Une envie de tout et tout le temps, de découvrir, d’essayer, de tester… Une fébrilité qui vous tient éveillé malgré un décalage horaire rude et malgré parfois cette sensation de quitter votre corps ….Il ne faut pas s’arrêter car vous risquez d’être atteint par le fameux syndrome du « lost in translation », c’est à dire de perdre pied, et cette ville vous vampirise alors ! Le premier remède à ces maux est de manger, de goûter, de déguster, de s’émerveiller de toutes ces simplicités culinaires qui se révèlent souvent d’une grande complexité : ces bols de ramens fumants et savoureux, des takoyakis, des yakitoris, du tonkatsu ( des noms qui vous donnent faim et vous mettent les papilles en exergue ), ces assiettes de sushis qui vous balancent que vous n’aviez jamais vraiment mangé de sushis auparavant, ces plats raffinés où le geste est d’une précision étourdissante et d’une signification ancestrale, qu’une simple et minuscule herbe peut vous donner un uppercut de saveurs et révèle tout un plat… A chaque mètre un restaurant, un « food corner », un sushis bar, un « bouis-bouis » d’une propreté à faire pâlir. Tokyo est une des scènes gastronomiques les plus grandioses de la planète. Les grands chefs français ne s’y sont pas trompés en ouvrant des établissements ou en s’appropriant des techniques et des ingrédients lors de séjours initiatiques pour insuffler une identité japonisante dans leur cuisine.
Découvrir un restaurant d’un chef japonais étoilé à Tokyo est un honneur et un moment privilégié, on sait que le spectacle sera là, d’une authenticité magnifique, une atmosphère unique et incroyablement intime. Tout se chuchote, se murmure comme dans un lieu sacré, sans pourtant être pesant….mais inspire le respect. Entre le chef et vous se crée une relation qui existe rarement ailleurs qu’au Japon. Un regard, un sourire, un hochement de tête… Une véritable cérémonie gastronomique dans une simplicité et une humilité vraie. Tout se centre sur les plats et les ingrédients, le respect du produit à son paroxysme. Chaque geste a une signification et se doit d’être précis et net, ce qui pour nous parait simplement esthétique, raconte pour les japonais une histoire. Des produits d’une fraîcheur incroyable, d’une saisonnalité rigoureuse : chacun s’incline devant l’arrivée d’un poisson ou d’un légume qui annonce avec émerveillement l’arrivée d’une saison.
Le chef Shinji Ishida, qui a fait ses classes auprès du chef multi étoilés à Tokyo Toru Okuda, a ouvert en juin 2016, son propre établissement Nogizaka-Shin ( étoilé en 2017 ), dans le quartier d’Akasaka, non loin de Ronppongi, situé au rez-de-chaussée d’un petit immeuble d’habitation.
Une entrée discrète et presque secrète comme la plupart des établissements raffinés au Japon. L’accueil est chaleureux et d’un respect tout à fait nippon. Les murs sont habillés de bois blonds sans artifice, à gauche se trouve une salle traditionnelle sur tatamis pour les familles ou les hommes d’affaires, sur la droite un « noren », petit rideau de chanvre et de coton sous lequel on baisse la tête pour entrer, vous souhaite la bienvenue et ouvre sur une petite pièce où se trouve un long comptoir de bois brut, juste poli à la douceur charnelle. Seulement 6 convives ont le privilège de faire face au chef, une véritable « table du chef » : la lumière y est diffuse et met en valeur les rares pièces de décoration; l’épure japonais dans toute son efficacité visuelle où rien n’est laissé au hasard.
La salle est orchestrée avec élégance par l’excellent sommelier et maître en Saké Yasuhide Tobita, qui parle un très joli français et fait un parfait tandem avec le chef.
Le menu dégustation « kaseiki » d’été se compose de 10 plats.
Pour commencer : Murène ( Hamo ) grillée au bbq, soupe de légumes de saison : le poisson est posé côté peau directement sur un morceau de charbon incandescent quelques secondes et apporte une cuisson précise, un goût fumé subtil; la soupe de concombre est d’une fraicheur estivale appétante et parfaitement équilibrée. L’ensemble est relevé par le côté poivré des fleurs de shiso.
On est happé directement et sans détour dans la cuisine du chef.
Flan de maïs, fine gelée de crevette, corail d’oursins : finesse extrême des saveurs, rondeur noisettée percutée par un wasabi parfaitement maitrisé. Le flan de maïs est léger, au goût présent et subtil, la fine gelée de crevette est gourmande, une rondeur vivifiée par le iodé de l’oursin. C’est sublime et laisse sans voix, d’une douceur élégante et rassurante. Chaque bouchée est une confirmation des saveurs.

Murène pochée à cru, soupe claire de jeune melon vert japonais : les petites algues, enveloppées d’une gelée de yuzu fondant progressivement dans le bouillon doux de melon, donnent au poisson un goût léger d’agrume et une acidité complexe. Un véritable chef d’oeuvre en mouvement, paraissant d’une « simplicité simpliste » mais se révélant d’une complexité technique. Les goûts évoluent progressivement, c’est parfait, délicat et vivant.

Sashimi : calamar, carrelet et thon gras, sel, wasabi, citron vert : le calamar est incisé en éventail de manière à le rendre incroyablement fondant, le thon est un beurre de viande et de saveur iodée, le carrelet d’une finesse d’un papier calque. Les jeunes pousses de shiso rouge, le citron vert, le sel et le wasabi sont des exhausteurs naturels et équilibrés. Des sashimis d’une perfection qui vous donneraient les larmes aux yeux de plaisir, une maîtrise exceptionnelle de la découpe qui apporte la texture parfaite.

Udon d’ormeaux, mousse et foie : une mousse glacée fine et légère au goût délicatement iodé, d’amande fraîche et de jaune d’œuf, les udons ( nouilles épaisses ) sont cuites à la perfection et apportent la texture.

Ayu grillé entier et ses accompagnements : l’Ayu est un petit poisson de rivière pêché uniquement entre juillet et août. A l’arrivée de ce met, les clients japonais vont émettre un « ohhhhhh » grave d’émerveillement enfantin et sacré, ce qui signifie la rareté et l’honneur de pouvoir déguster ce met éphémère qui évoque l’été. Il est grillé croustillant, se déguste entier et est mis en valeur sur un plateau entouré de ses accompagnements servis en condiments : oignons marinés, fraise, pomme de terre en beignet, poulpe mariné et makis de poulpe. C’est ludique et esthétique comme un bento, des petites boîtes, des compartiments, les textures sont multiples, on pioche, on picore, on trempe… Un plat qui dynamise.
Boeuf Wagyu de la maison Osaki à Miyazaki ( une des références de Wagyu d’origine du japon, élevés dans le respect des bêtes avec une alimentation bio et naturelle ) : les fines tranches snackées sont d’une grande douceur en bouche, le gras est fin au goût de noisette et de fleurs, les jeunes pousses d’herbes vinaigrées sont croquantes et ravivent le palais.

Crevettes aubergines poivrons vert et yuzu : odeur enivrante, goût légèrement fumé- brûlé maîtrisé du poivron, l’aubergine fondante et la crevette sont réveillées par le bouillon froid de yuzu, une sorte de trou normand japonais d’une fraîcheur et d’une vivacité bluffante, une maîtrise des « jeux de l’amour et du goût ».

Anguille fumée laquée au sésame sur un riz texturé : l’anguille est à double identité entre un fondant exaltant et une fermeté équilibrée, la saveur gourmande de sésame est vite « rappelée à l’iode » par l’association shiso-thé brulé.

Sorbet lait de coco, gelée haricot rouge et cake matcha : un dessert d’une douceur et d’une gourmandise mesurées, traditionnel et délicieusement japonais.

La carte des vins est à la hauteur des attentes d’une clientèle experte et oenophile, qui peut se faire plaisir avec de très belles références dans toutes les régions du monde.

Un menu kaiseki d’une maitrise étonnante, qui ne vous laisse pas indemne et vous rappelle que la cuisine est un art qui fait vibrer tous les sens… Et quel plaisir immense avant de partir de remercier le chef Shinji Ishida qui s’incline devant vous avec honneur et respect car vos yeux scintillent de bonheur. Une expérience inoubliable.

Nogizaka – Shin 11-19-102 Akasaka 8, Minato-ku Tokyo